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Je m’appelle Florencia

Texte rédigé par Florencia Lazcano en collaboration avec le Carrefour jeunesse-emploi Montréal Centre-Ville

Cet article a été soumis dans le cadre du projet Journalisme Citoyen de la Table de quartier Peter-McGill. Veuillez noter que les opinions exprimées dans ces articles ne reflètent pas nécessairement celles de la Table. Le projet vise à faire entendre les voix des résident.e.s et ami.e.s du quartier par des soumissions d’articles, de photos, de vidéos et de balados. Intéressé.e à contribuer? Contactez-nous à mobilisation@cjemontreal.org et aboisvert@jemontreal.org. 

Immigrants, réfugiés, ex-pats. Un visage, deux visages… un million de visages. 

 

Marron, noir, blanc, toute la palette des couleurs, se fondant, se mélangeant, devenant un, devenant plusieurs.

 

Je peux parler de l’immigration. J’ai toujours voulu avoir l’occasion de le faire ; je sens que je ne suis pas la seule à avoir mille et une histoires à raconter sur l’odyssée que l’on appelle communément l’immigration.

 

J’ai eu l’idée de trouver des personnes d’origines et d’ethnies diverses qui sont arrivées au Canada et, par l’écriture, de raconter leur histoire pour sensibiliser les gens. Le désir d’enseigner aux autres à quel point il existe un besoin d’égalité, un besoin d’union, une nécessité désespérée pour chacun d’entre nous de voir plus loin que le bout de son nez, m’a suivi pendant longtemps.

 

Les récits d’immigration peuvent nous apprendre la résilience, nous apporter une nouvelle perspective et nous donner des raisons d’être reconnaissants. 

 

Si vous me permettez de continuer, je commencerai par raconter un peu de ma propre histoire, et si vous restez, je vous apporterai souvent d’autres récits ; je passerai le haut-parleur à ces voix trop petites que nous n’entendons peut-être pas, mais qui résonnent en effet partout.

 

Je m’appelle Florencia, je ne m’appelle pas Florence.

 

Neuf lettres ; ces lettres composent mon nom. Florencia, Ce prénom m’a été donné par ma mère pour me rappeler que je peux m’enraciner n’importe où ; mon prénom signifie fleurir, dénote le printemps et l’épanouissement. 

 

À Noël en 2018, j’ai vu de la neige pour la deuxième fois de ma vie. J’étais équipée pour l’hiver, mais pas pour ce type d’hiver. J’étais suffisamment protégée pour passer quelques jours à Montréal, mais pas pour y passer quelques années comme je l’ai fait. 

 

Vous voyez, le vent peut parfois faire mal, les visages peuvent se tordre et les mains se fissurer, mais c’est captivant, je ne peux pas le nier. 

 

Je suis restée ; je suis venue parce que mon cœur m’a amenée ici ; quelques mois après mon arrivée, je me suis mariée et j’ai eu un incroyable voyage de noces prolongé jusqu’à ce que la pandémie frappe durement, fermant les aéroports, les portes et les bureaux d’immigration, rendant mon attente d’un permis pour être une travailleuse légale et une résidente officielle du Canada perpétuelle et sans espoir.

 

À mon arrivée, j’ai décidé de faire autre chose que de visiter le Vieux-Port et de prendre des photos de tous les paysages enneigés que je remarquais. Je me suis rendue au Marché Bon Accueil, The Mission Hall, pour faire du bénévolat. J’ai rencontré de nouveaux visages qui m’ont traitée comme une sœur, et j’ai découvert d’autres personnes qui, dans la solitude, se sont réunies dans le seul but d’aider. J’ai rencontré des Syriens, des Colombiens, des Russes, etc.

 

Le Marché Bon Accueil est une banque alimentaire. J’ai été étonnée lorsque j’ai commencé à faire mes heures de bénévolat ; des personnes de toutes nationalités arrivaient pour demander de la nourriture, certaines pour demander un abri, certaines avec des familles de deux personnes, d’autres avec des familles de huit personnes. Nous nourrissions des personnes dans le besoin et j’apprenais. J’ai compris des choses auxquelles je n’avais jamais pensé auparavant, par exemple que dans l’isolement, on peut effectivement être mieux accompagné. 

J’avais besoin de cela ; j’avais besoin de faire partie de quelque chose de grand pour ne plus me sentir si petite. J’avais besoin de trouver des gens qui m’appelaient par mon nom, qui se souciaient de l’apprendre. Je n’étais pas Florence, j’étais Florencia, et je n’étais pas perdue. J’ai planté des graines dans un pays nouveau et étranger, mais mes racines… étaient toujours ailleurs, ce qui peut être difficile à accepter.

 

Si vous allez sur Google et que vous cherchez le syndrome d’Ulysse, voici le premier résultat que vous trouverez : Le syndrome d’Ulysse, ou syndrome de l’émigrant avec stress chronique et multiple, est une image du chagrin migratoire extrême, et non un trouble mental qui apparaît chez les immigrants qui vivent des situations très défavorables (solitude, exclusion, peur et impuissance). Le Dr Joseba Achotegui, de l’Université de Barcelone, a inventé le terme « syndrome d’Ulysse » en 2002, en référence au héros de la Grèce antique, Ulysse (Ulysses en latin), qui a subi une migration involontaire et a voyagé pendant dix ans à travers la Méditerranée pour rentrer chez lui après la guerre de Troie qui a duré dix ans. Les difficultés de son voyage sont comparées à celles des migrants contemporains, qui doivent faire face à des situations nouvelles et intensément stressantes, dans l’isolement et avec peu d’aide. La rareté de leurs ressources les empêche de faire face et de s’adapter avec succès à l’environnement inconnu du pays d’accueil, ce qui les conduit à éprouver toute une série de symptômes préjudiciables.

 

Je ne savais pas pourquoi mon nouveau nom me gênait ; je ne savais pas pourquoi je me sentais touchée lorsque je devais dire aux gens : « Appelez-moi Florence » : « Appelez-moi Florence », mais un jour, je me suis dit que le sentiment de vide que j’éprouvais lorsque le A et le I n’étaient plus là avait forcément une raison. Ce vide était plus qu’un problème d’orthographe, j’avais le mal du pays, comme Ulysse cherchant à retrouver sa terre.

 

J’avais décidé de changer de pays. J’ai joyeusement fait mes bagages et j’ai dit au revoir. Je me suis dit… à quel point ce serait difficile ? Je suis la petite-fille d’expatriés. J’ai le sang des voyageurs et une paire de pieds qui n’aime pas rester en place. Je n’y ai pas réfléchi deux fois et j’ai déménagé. J’ai dû changer de langue, de mode de vie et de routine.

 

Un de ces matins d’hiver où l’on ne voit que du blanc autour de soi et où le soleil se cache. J’avais l’impression que je ne pouvais pas pleurer, regretter ou dire quoi que ce soit à propos de ce que je vivais. J’ai pensé que j’étais folle.Alors que d’autres personnes fuient leur pays, s’envolent pour échapper à la pauvreté et aux guerres, s’éloignent le plus possible de la violence et laissent tout derrière eux sans avoir le choix, j’ai fait partie de ces immigrants privilégiés qui ont jeté l’ancre dans un nouveau pays avec des bagages pleins de soleil et de nouveaux espoirs. 

 

Il m’a fallu un certain temps pour comprendre ce qui se passait. J’ai compris que même si nous aimons notre nouvelle place dans le monde, quels que soient les motifs, quels que soient les sentiments que le monde attend de nous, il est relativement courant de penser que nous nous éloignons chaque jour un peu plus de nos racines, qu’il y a des jours où nous ne prononçons pas un mot dans notre langue maternelle. Il est normal de sentir que tout le monde est étranger et que le nouvel oreiller ne conserve pas les mêmes rêves que ceux que nous avons laissés dans l’ancien.

 

« Tu me demandes mon nom. Je vais vous le dire. Je ne m’appelle personne, et personne, c’est ainsi que tout le monde m’appelle » (Odyssée, chant IX, 360). 

 

Je m’appelle Florencia, je ne m’appelle pas Florence. J’ai un cœur qui bat sur deux continents, j’appelle ma maison le Nord et j’appelle ma maison le Sud. 

 

La solitude peut être une bête puissante, mais c’est dans ces moments de solitude que l’on trouve des frères et des sœurs, et que l’on se trouve soi-même.

 

…Immigrants, réfugiés, ex-pats. Un visage, deux visages… un million de visages. Marrons, noirs, blancs, toute la palette des couleurs, se fondant, se mélangeant, devenant un, devenant plusieurs.

 

Je peux parler d’immigration, je le peux certainement, et vous aussi. 

 

Si vous souhaitez partager votre histoire migratoire, écrivez un courriel à florenlazcano@gmail.com






À propos de l'autrice :
Florencia Lazcano

Mon nom est Florencia Lazcano. Je suis née en Argentine, un pays peuplé d’immigrants européens ayant navigué à travers l’océan après la Seconde Guerre Mondiale.

J’ai été élevée dans un quartier italien pittoresque. En grandissant, les histoires des expats et de mon héritage familial ont forgé ma personnalité et m’ont forcé à m’exprimer par l’écriture dès ma jeunesse.

À l’âge de 16 ans, j’ai commencé à travailler dans un journal local. À 23 ans, j’avais déjà deux histoires publiées dans un livre d’anthologie espagnol. Quelques années plus tard, j’ai commencé à écrire pour Resistiendo con ides (Résister avec des idées, un magazine argentin publié en ligne).

J’ai continué mon parcours d’écriture et j’ai étudié pour devenir enseignante d’anglais, ce qui m’a permis d’écrire en anglais, et c’est devenu ma langue de choix pour mes morceaux.

Mes connaissances de l’anglais m’ont ouvertes la porte pour écrire pour Sinful Celluloid (un site américain de critique de films) et SillyLinguistics.

Comme si c’était mon destin, j’ai déménagé au Canada en 2018, à la poursuite de mon rêve. Quand la pandémie a frappé, j’ai utilisé la solitude comme carburant pour mes projets créatifs. 

Aujourd’hui, mon art continue de grandir, et je continue d’apprendre. Mes textes ces temps-ci abordent l’immigration, les histoires d’amour, et autres sujets. Je considère que n’importe quelle chose, aussi simple qu’elle peut être, peut être tournée en poésie.

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